Convention Ensemble pour le climat, Est-Ensemble, 15 septembre 2021-30 avril 2022
Convention Ensemble pour le climat, Est-Ensemble, 15 septembre 2021-30 avril 2022

Evaluer le potentiel transformateur des dispositifs de participation citoyenne

Une étude de master 2 pose les bases d'une évaluation du pouvoir transformateur des dispositifs participatifs citoyens portant notamment sur les questions climatiques.

Par Pierre Barrois

Selon des enquêtes et des sondages récents, la grande majorité des Français admet la réalité du changement climatique et ses causes anthropiques (1). Cependant, même s’ils affirment être prêts à changer leur mode de vie, les Français ne traduisent pas majoritairement cette prise de conscience en actes, que ce soit dans les gestes de la vie quotidienne, dans la rue ou dans les urnes.

Les causes de cette inaction sont multiples : croyance en une technologie qui pourra résoudre tous les problèmes, sentiment d’impuissance face à un phénomène aussi complexe, ou encore impossibilité pratique de changer en raison de l’encastrement de la vie quotidienne dans un système qu’on ne peut pas changer seul ou qu’on ne veut pas changer seul (dilemme social). La représentation souvent lointaine que l’on se fait du changement climatique, dissociée des préoccupations quotidiennes, contribue à réduire la perception du risque et l’action qui pourrait en découler (2). Parmi les multiples variables susceptibles d’agir sur ces représentations, la distance psychologique, qui exprime la difficulté à se représenter concrètement un événement, un objet ou un phénomène, semble particulièrement pertinente à étudier. Dans le cas du changement climatique, sa réduction permettrait d’augmenter l’intention d’agir (3, 4).

La participation citoyenne, que l’on peut définir comme le fait d’associer les citoyens au processus de décision politique, est l’un des outils utilisés par les institutions publiques pour tenter de coconstruire des évolutions permettant à la fois d’adapter les territoires aux menaces climatiques et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Par les nombreux apprentissages qu’elles produisent chez les participants, notamment par le caractère collectif de la réflexion qui y est menée, les instances de concertation constituent en effet une piste intéressante pour faire évoluer les représentations de celles et ceux qui participent à ces expériences.

Evaluer la distance psychologique vis-à-vis du dérèglement climatique

Au cours d’une étude de master 2, nous avons élaboré une méthode permettant d’évaluer la distance psychologique vis-à-vis des phénomènes climatiques et son évolution au cours d’une expérience participative. Nous nous sommes appuyés sur deux exemples concrets de participation citoyenne, la convention citoyenne locale pour le climat organisée par l’établissement public territorial Est Ensemble et l’assemblée citoyenne « Ivry pour le climat », impulsée par la municipalité d'Ivry-sur-Seine. Ces deux dispositifs présentent à la fois des similarités (mise en place par une collectivité territoriale, durée limitée, et volonté de former les participants) et des différences importantes (participants tirés au sort dans un cas, volontaires dans l’autre, méthode et durée de formation, etc.).

Nous avons analysé également des facteurs tels que l’échelle géographique abordée et l’attachement au lieu. Celui-ci renvoie au « lien émotionnel que les individus établissent avec des lieux spécifiques dans lesquels ils ont tendance à rester et se sentent en sécurité » (5), et favoriserait les comportements pro-environnementaux (6).

Concrètement, la méthode consiste à interroger les différents acteurs d’un dispositif participatif (organisateurs, élus, facilitateurs, observateurs, participants, etc.), et à soumettre les participants à des questionnaires ex-ante et ex-post complétés par des entretiens d’approfondissement. La pédagogie y est examinée à partir de l’évaluation, par les participants eux-mêmes, de l’organisation des ateliers, de la clarté des intervenants, de l’apport du collectif sur le processus d’apprentissage et du lien qui est fait entre phénomènes globaux et effets locaux.

Lors de la convention citoyenne d'Est ensemble, les participants étaient invités à poser devant l’objectif pour partager des messages ou projets qu’ils souhaitaient faire connaître. © Est Ensemble

Lors de la convention citoyenne d'Est ensemble, les participants étaient invités à poser devant l’objectif
pour partager des messages ou projets qu’ils souhaitaient faire connaître. © Est Ensemble

La mesure de l’intention d’agir suscitée par cette expérience, mise en regard avec l’évolution de la distance psychologique et du niveau de connaissances des enjeux climatiques, doit en outre permettre d’évaluer la « transformation » opérée sur les participants. Testé dans le cadre des dispositifs étudiés, un modèle de questionnaire a pu être éprouvé et optimisé au fil des réponses obtenues et des entretiens réalisés. Ces tests nous ont conduit à préciser plus finement l’amélioration des connaissances acquises grâce au dispositif, tant scientifiques (phénomènes climatiques) que citoyennes (capacité à débattre, compréhension des compétences des différentes collectivités territoriales). Par ailleurs, la question sur les envies d’agir produites par la participation a été reformulée afin d’évaluer l’incitation à agir qui engage davantage les personnes interrogées et permet ainsi de mieux mesurer une transformation réelle.

Des effets sur les connaissances

En termes d’effets sur les participants, les réponses aux questionnaires, même si leur nombre est trop faible pour en tirer des conclusions fiables, font apparaître quelques tendances. Ainsi, les participants à la convention citoyenne d’Est Ensemble ont pour la plupart d’entre eux estimé avoir amélioré leur niveau de connaissance des enjeux climatiques au cours du processus participatif, alors qu’une seule personne interrogée à Ivry-sur-Seine est dans ce cas. Deux raisons au moins peuvent expliquer cette tendance : d’une part, la formation proposée par Est Ensemble a été bien plus approfondie et innovante qu’à Ivry ; d’autre part, le profil des participants (tirés au sort à Est Ensemble, volontaires à Ivry) conduit à des niveaux initiaux moyens de connaissance, donc à des potentiels de progression très différents.

Autre effet intéressant : le travail de réflexion collective sur un territoire spécifique pourrait augmenter l’attachement à ce territoire, et donc favoriser l’intention d’agir. Ces quelques tendances, pour être confirmées, nécessitent des travaux complémentaires sur d’autres terrains d’étude.

Appliquée dans son intégralité, cette méthode pourrait permettre d’évaluer le « pouvoir transformateur » des dispositifs participatifs portant notamment sur les questions climatiques. Elle pourrait ainsi venir compléter les méthodologies proposées par des organismes tels que l’ADEME, le CEREMA ou l’Institut de la Concertation et de la Participation Citoyenne (ICPC) pour aider les collectivités dans l’organisation de projets de participation citoyenne adaptés aux différentes situations locales.

 

Pierre Barrois

(1) Enquête OpinionWay/Ademe, avril 2022, sondage Ipsos-Sopra Steria pour France Télévisions, mars 2022.
(2) Michel-Guillou, E., 2014. La représentation sociale du changement climatique : enquête dans le sens commun, auprès de gestionnaires de l'eau. Les cahiers internationaux de psychologie sociale, 4,  647-669.
(3) Guillard, M., 2020. Etude des déterminants psychologiques de l'adaptation au changement climatique: effets de la distance psychologique, du risque perçu, et de l'attachement au lieu. Thèse de doctorat, Nantes.
(4) Spence, A., Poortinga W., et Pidgeon N., 2012. The Psychological Distance of Climate Change. Risk Analysis 32, no 6 : 957‑72.
(5) Hernández, B., Hidalgo, M. C., Salazar-Laplace, M. E., & Hess, S., 2007. Place attachment and place identity in natives and non-natives. Journal of environmental psychology, 27(4), 310-319.
(6) Halpenny, Elisabeth. General Technical Report NRS-P. Northern Research Station, 2006.