Vers une alimentation durable sur les campus

Un stage de recherche de master 2 a mis en évidence des freins et des leviers pour développer l’alimentation durable sur les campus de l’Alliance Sorbonne Université (ASU).

 

Par Ariane Migault

Les liens entre alimentation et protection de l’environnement sont de plus en plus étudiés par la communauté scientifique, et cela depuis les années 1970. Selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), l’alimentation durable désigne « l’ensemble des pratiques alimentaires qui visent à nourrir les êtres humains en qualité et en quantité suffisante, aujourd’hui et demain, dans le respect de l’environnement, en étant accessible économiquement et rémunératrice sur l’ensemble de la chaîne alimentaire ». Elle fait aujourd’hui l’objet de réglementations et politiques publiques, telle la loi EgAlim de novembre 2018.

Cette recherche, réalisée dans le cadre d’un stage de six mois, a étudié dans quelle mesure l’alimentation durable peut être amorcée et développée sur les campus de l’ASU pour ses étudiant.es et personnels. L’étude a commencé par des rencontres avec des acteur.ices impliqués dans le système alimentaire de l'ASU : responsables du développement durable, des achats, associations étudiantes, personnels du Crous par exemple. Puis, un questionnaire en ligne à destination du personnel et des étudiant.es des campus de l’ASU a obtenu 3 563 réponses du 22 avril au 31 mai 2022. Enfin, cinq entretiens qualitatifs semi-dirigés ont été réalisés avec des profils variés de personnes qui avaient rempli ce questionnaire. En plus de cela, l’étude des législations en vigueur, les observations de terrain et l’analyse de la littérature scientifique ont permis d’élaborer des préconisations en vue d’une alimentation plus durable sur les campus.

Une réelle envie de changement

L’état des lieux des habitudes alimentaires des usager.es, ainsi que de leurs volontés de changements, montre que les motivations des usager.es pour une alimentation durable sont retranscrites dans leurs discours, mais aussi dans leurs actions individuelles et leurs revendications associatives. Par exemple, tous les indicateurs montrent un souhait individuel pour davantage de durabilité dans l’assiette : 84 % des répondant.es veulent plus de fontaines à eau ; 90 % veulent moins d'emballages et de couverts jetables ; 93 % veulent plus de produits locaux ; 85 % veulent plus de produits bio ; 70 % veulent plus d'offre végétarienne et 80 % veulent plus d'informations sur les aliments notamment sur leur composition, leurs impacts sur l’environnement, leur origine géographique ou sur leurs conditions de production.

Deuxième constat important, la majorité des étudiant.es et du personnel de l’ASU ne se restaurent pas au Crous Resto U’ ou à la cantine administrative, mais apportent un plat préparé à domicile, ou bien mangent dans un établissement extérieur de restauration rapide. « Je dois malheureusement renoncer trop souvent à manger au Crous en raison de la beaucoup trop grande file d'attente (parfois près de 45 min). Étant boursière, ça me pose problème financièrement lorsque cela arrive trop régulièrement », regrettait une étudiante. Les raisons exposées pour ne pas se rendre dans ces espaces peuvent se diviser en deux catégories : le manque d’accessibilité (temps et distance) et le manque de qualité de l’offre (goût et durabilité).

Pour quelle(s) raison(s) ne mangez-vous pas régulièrement au Crous Resto’ U ou à la cantine ?

Plus de 1 26O personnes ne se restaurent pas régulièrement au Crous Resto U’ ou à la cantine en raison du temps d’attente.
Source : Enquête réalisée auprès de 3563 personnes des campus de l’ASU, Ariane Migault, 2022.

Quelles préconisations ?

Pour se diriger vers une alimentation durable, il faut avoir un pouvoir d’action sur l’offre proposée aux convives. L’étude préconise donc d’encourager les personnes à fréquenter la restauration publique, mais aussi à accompagner celles qui ne peuvent pas s’y rendre en proposant des solutions alternatives satisfaisantes. Par exemple, puisque la plupart des personnes apportent leur repas cuisiné à domicile, il faut créer davantage de lieux de convivialité disposant de micro-ondes, comme le demandent 71 % des répondant.es.

Des changements structurels sont également nécessaires pour améliorer l’accessibilité de la restauration publique, en concertation avec le Crous, avec trois objectifs : désengorger les files d’attente, augmenter le nombre d’établissements et élargir l’offre avec des petits-déjeuners et dîners à tarif sociaux et à emporter. De même, l’ASU devrait proposer de nouvelles manières de se restaurer pour pallier le manque de Resto U', par exemple grâce à un système de plats à emporter dans des contenants réutilisables ou consignables, ou grâce à des tickets « restau responsable » pour rediriger les usager.es vers des lieux extérieurs proposant une alimentation durable.

L’ASU peut aussi contribuer à l’amélioration en qualité et durabilité de l’offre de la restauration publique. Puisqu’elle ne peut agir directement sur les produits, il serait souhaitable qu’elle négocie l’ajout de clauses aux contrats passés avec la restauration pour favoriser l’alimentation durable, ce qui impliquerait d’en vérifier l’application. L’alliance pourrait demander que soient affichées les informations clés sur les produits proposés, la garantie d’une bonne qualité gustative et de l’équilibre nutritionnel. Parallèlement elle inciterait à la réduction des impacts des productions et du transport grâce à plus de produits locaux, équitables, bio, la suppression complète des emballages jetables en plastique, un tri adapté des déchets avec recyclage, une valorisation (compostage ou méthanisation des biodéchets) et la récupération des invendus. En outre, une offre végétarienne équilibrée préparée sur place à partir de produits régionaux est souhaitable pour diminuer la part des produits hypertransformés en restauration collective.

Veiller au respect de la réglementation

Plusieurs de ces points pourraient être respectés en vérifiant l’application de la réglementation en vigueur. Effectivement, la loi EgAlim, qui encadre la restauration collective, exige déjà une part de 50 % de produits durables et de 20 % de produits bio. La convention signée entre le Crous et la Mairie de Paris contraint à une offre végétarienne de 25 %. D’ici 2026, cette offre devra être de 50 % avec 100 % de produits bio et l’interdiction du plastique. La loi AGEC du 10 février 2020 sur la lutte contre le gaspillage et l'économie circulaire interdit la vaisselle jetable dans la restauration rapide pour les repas servis sur place à compter du 1er janvier 2023.

En tant qu’alliance d’établissements publics de l’enseignement supérieur, l’ASU a une responsabilité institutionnelle de changement en faveur de la protection de l’environnement. Pour cela, elle pourrait s’entourer de soutiens proposés par les associations étudiantes et les AMAP, demander la labellisation « Université Bleue » ou participer à des réseaux de restaurants collectifs engagés tels que « Mon Restau Responsable ». Pour une réorganisation profonde du système alimentaire en place sur les campus, au-delà des actions bénévoles, des mesures publiques contraignantes doivent être décidées pour rompre avec la logique de rentabilité du secteur alimentaire et lui substituer une logique de durabilité.

Ariane Migault