L'éclairage artificiel nocturne et ses effets sur la biodiversité

Eclairage artificiel nocturne : réduire ses effets sur la biodiversité sous-entend-il de le supprimer ?
Où, quand, via quelle acceptabilité et pour quelle efficacité ?

Doctorante : Léa MARITON (2020-2023)

Soutenance de thèse le 10 février 2023

La soutenance de thèse de Léa Mariton pour le grade de docteur en Sciences de la conservation de Sorbonne Université (ED 227), le 10 février 2023 à 14h30. Elle aura lieu en présentiel à la Station de Biologie Marine de Concarneau et en visioconférence.

Titre de la thèse
Taking light pollution effects on biodiversity into account in conservation measures: challenges and prospects

Résumé
Ce dernier siècle, les lumières électriques ont proliféré, modifiant l’environnement nocturne. Des études scientifiques alertent sur les effets négatifs de la lumière artificielle nocturne (LAN) qui perturbe de nombreux processus écologiques et de taxons. Notre objectif a ainsi été de combler des manques de connaissances afin d’aider à une meilleure considération des effets de la pollution lumineuse sur la biodiversité dans les mesures de conservation. Nous avons utilisé les chiroptères comme modèles biologiques car ce sont de bons bioindicateurs de l’effet des pressions anthropiques sur la biodiversité et, étant nocturnes, ils sont directement exposés à la LAN.

Nous avons préconisé de considérer la distribution temporelle des espèces dans les mesures de conservation, un prérequis étant de connaître leur écologie temporelle. Nous avons utilisé les données d’un programme national de suivis acoustiques des chiroptères (Vigie-Chiro) pour étudier leur rythme d’activité nocturne (9807 nuits, 20 espèces). Nous avons montré que les espèces pouvaient être séparées en trois groupes ayant une activité crépusculaire, en cœur de nuit ou intermédiaire, avec des variations des rythmes d’activité selon les saisons. La prise en compte de ces rythmes complexes aiderait à concevoir des mesures de conservation efficaces, par exemple, en définissant des extinctions partielles de la LAN adaptées à des espèces cibles.

La plupart des chiroptères émergeant tôt sont des espèces « tolérantes à la lumière » pouvant se nourrir sous les lampadaires. Cependant, à l’échelle du paysage, ces espèces semblent moins abondantes à cause de la LAN. Cela pourrait s’expliquer par des perturbations de leur rythme d’activité influant possiblement les dynamiques de population. A l’aide des données Vigie-Chiro, nous avons testé si la LAN induisait de telles perturbations pour une de ces espèces (Eptesicus serotinus). La LAN, et dans une moindre mesure la lumière de la lune, réduisaient son abondance. La LAN retardait son activité, ce décalage était amplifié par la couverture nuageuse, possiblement à cause de son effet amplificateur du halo lumineux. Des analyses complémentaires ont suggéré que la LAN retardait l’activité de deux autres espèces « tolérantes à la lumière ». Ainsi, même ces espèces devraient être protégées de la LAN.

Lorsqu’éclairer est nécessaire, changer l’intensité, la direction ou le spectre des éclairages sont des mesures de réduction possibles. Nous assistons à une modernisation des éclairages avec des diodes électroluminescentes (LEDs). Malgré des impacts potentiels sur la biodiversité, peu d’études se sont intéressées à cette évolution. En réanalysant les données d’une étude publiée, nous avons montré que les changements de spectre et d’intensité accompagnant cette évolution avaient des effets additifs et interactifs sur les chiroptères. Quand l’intensité des LEDs augmentait, leur activité décroissait. Avec les données Vigie-Chiro, nous avons montré que les LEDs pouvait réduire la connectivité du paysage pour les chiroptères, cet impact étant atténué en orientant mieux les lumières. Nous avons recommandé d’utiliser des LEDs avec des couleurs plus chaudes et de moindre intensité.

Evaluer l’effet de la LAN sur la biodiversité implique des approches spatio-temporelles multi-échelles. Malgré les manques, il y a désormais suffisamment de preuves de l’impact de la LAN sur les écosystèmes. Les mesures de réduction étant en développement, évaluer leur efficacité et les améliorations possibles est indispensable. Penser la réduction de la LAN à l’échelle du paysage est une évolution impérative, d’où l’émergence du concept de trame noire. Un projet pluridisciplinaire sur les pratiques communales d’éclairage et leurs évolutions a été initié pendant cette thèse. En effet, puisque la LAN n’a pas que des implications écologiques, mais aussi sanitaires et socio-culturelles, une perspective transdisciplinaire est indispensable pour changer nos façons d’éclairer.

Contexte

De nos jours, 83% de la population mondiale vit sous des ciels pollués par les lumières provenant des éclairages artificiels nocturnes 1. Ceux-ci sont responsables de 16,5% de la demande mondiale d’électricité 2. Cependant, la pollution lumineuse n’est pas seulement un enjeu énergétique. En effet, de nombreux articles scientifiques viennent également alerter sur les impacts des éclairages artificiels sur la biodiversité.

En particulier, les chauves-souris sont connues pour présenter des réactions différentes vis-à-vis de la pollution lumineuse selon les espèces et les échelles considérées. Localement, certaines espèces semblent être attirées par les sources de lumière et les insectes qui s’y agrègent, alors que d’autres évitent les éclairages en raison d’un potentiel risque accru de prédation 3. Cependant, à l’échelle du paysage, l’activité de toutes les espèces semble décroître en présence de pollution lumineuse 4.

Gîtes à chauves-souris. Photo : Léa Mariton

De plus, la pollution lumineuse pourrait ne pas seulement impacter la répartition spatiale des chauves-souris mais également leur répartition temporelle. Cela pourrait aboutir à une réduction de leur budget-temps disponible pour chasser et avoir, in fine, des conséquences délétères sur la survie des individus et les dynamiques de populations.

Axes de travail

Cette thèse s’attache ainsi à déterminer si la présence de pollution lumineuse est susceptible d’altérer le rythme d’activité des chauves-souris. Dans un premier temps, nous nous sommes concentrés sur leurs terrains de chasse. A l’aide du jeu de données issus de programme de sciences participatives Vigie-Chiro, nous avons mené une étude sur la Sérotine commune (Eptesicus serotinus), une espèce habituellement considérée comme « tolérante » à la pollution lumineuse. Nous avons montré que celle-ci présentait néanmoins une activité plus tardive lorsqu’elle était exposée à de la lumière artificielle locale ou diffuse 5. Des analyses similaires sont en cours de réalisation sur les autres espèces de chauves-souris présentes en France. Un retardement du rythme d’activité des chauves-souris sur leurs terrains de chasse en présence de pollution lumineuse pourrait être expliqué par une sortie plus tardive des gîtes de reproduction lorsque ceux-ci sont exposés à de la lumière.

Pour vérifier cela, nous avons effectué des suivis de colonies de chauves-souris à l’aide de détecteurs d’ultrasons couplés avec des mesures des niveaux de lumière. Grâce au soutien d’associations et structures locales, nous avons pu suivre des colonies de deux espèces connues pour être sensibles à la pollution lumineuse et d’une espèce considérée comme tolérante.

Suivi acoustique de chauves-souris. Photo : Léa Mariton

Enfin, une attention sera portée à évaluer « en pratique » comment des mesures de réduction de la pollution lumineuse sont mises en place. Ainsi, un stage sera encadré en 2022 afin de faire un état des lieux des pratiques d’éclairage au sein des Parcs Naturels Régionaux français, les mettre en perspective avec les savoirs scientifiques et évaluer dans quelle mesure les connaissances scientifiques ont pu, ou non, contribuer à des changements de pratiques.

1. Falchi, F. et al. The new world atlas of artificial night sky brightness. Sci. Adv. 2, e1600377 (2016).

2. Zissis, G., Bertoldi, P. & Serrenho, T. Update on the status of LED-lighting world market since 2018.
https://data.europa.eu/doi/10.2760/759859 (2021).

3. Rydell, J. Exploitation of Insects around Streetlamps by Bats in Sweden. Funct. Ecol. 6, 744–750 (1992).

4. Azam, C., Le Viol, I., Julien, J.-F., Bas, Y. & Kerbiriou, C. Disentangling the relative effect of light pollution, impervious surfaces and intensive agriculture on bat activity with a national-scale monitoring program. Landsc. Ecol. 31, 2471–2483 (2016).

5. Mariton, L., Kerbiriou, C., Bas, Y., Zanda, B. & Le Viol, I. (2022). Even low light pollution levels affect
the spatial distribution and timing of activity of a “light tolerant” bat species. Environmental Pollution, avril 2022. https://doi.org/10.1016/j.envpol.2022.119267
Voir le communiqué de presse.

6. Barré, K., Froidevaux, J.S.P., Leroux, C., Mariton, L., Fritze, M., Kerbiriou, C., Le Viol, I., Bas, Y., Roemer, C., 2022. Over a decade of failure to implement UNEP/EUROBATS guidelines in wind energy planning: A call for action. Conservat Sci and Prac 4, e12805. https://doi.org/10.1111/csp2.12805

7. Kerbiriou, C., Barré, K., Mariton, L., Pauwels, J., Zissis, G., Robert, A., Le Viol, I., 2020. Switching LPS to LED Streetlight May Dramatically Reduce Activity and Foraging of Bats. Diversity 12, 165. https://doi.org/10.3390/d12040165

8. Mariton, L., Le Viol, I., Bas, Y., Kerbiriou, C., 2023. Characterising diel activity patterns to design conservation measures: Case study of European bat species. Biological Conservation 277, 109852. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2022.109852

 

Christian KERBIRIOU*, Brigitte ZANDA**, Isabelle LE VIOL*

* Centre d′Ecologie et des Sciences de la Conservation (CESCO), MNHN, CNRS, SU, 1 place de la Croix, 29900 Concarneau, France
** Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux, et de Cosmochimie (IMPMC), SU, CNRS, MNHN, IRD, 61 rue Buffon, 75005 Paris, France

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