Les évolutions des modèles agricoles et alimentaires en France

Quelle articulation entre l’action publique et les acteurs de la transformation du système agricole et alimentaire ?

Post-doctorante : Fatma Zahra Rostom

Des modèles agricoles et alimentaires pluriels

La Commission Européenne a adopté en mai 2020 la stratégie « De la ferme à la table » (1) dans le cadre du Pacte Vert pour l’Europe. Cet appel propose une « transition vers des systèmes alimentaires durables » (1), avec des objectifs chiffrés comme la réduction de 50 % de l’usage et des risques liés aux pesticides chimiques ou la neutralité carbone.

Atteindre de tels objectifs peut être associé à des pratiques agricoles diverses, de multiples façons de reconfigurer les chaînes de valeur et la répartition des rémunérations, ainsi que de nombreux modes d’alimentation. Cette volonté de transformation peut donc se traduire par des conceptions très variées voire antagonistes de modèles agricoles et alimentaires, ce concept correspondant à des archétypes de formes sociotechniques et socio-écologiques observées en réalité. La définition de chaque modèle est multidimensionnelle, et sa délimitation peut être poreuse, un enjeu académique important étant de comprendre la manière dont ces modèles coexistent au sein d’un territoire. La transition du système agricole et alimentaire peut être alors décrite par « une palette d’économies diverses et parallèles, formant un arc-en-ciel de nombreuses couleurs différentes, certaines d’entre elles miscibles et pouvant donner naissance à de nouvelles couleurs étonnantes, d’autres combinaisons devenant simplement d’un brun confus » (2).

Dans ce contexte, la perspective multi-niveaux (3) offre un cadre heuristique permettant d’analyser comment des nouveautés radicales peuvent se développer et s’intégrer (ou non) à des modèles préexistants, et ce au sein de niches-innovations. Dans le cas de l’agriculture, cette littérature a examiné certains exemples de niches, comme celles de l’agroécologie ou des circuits courts. Les innovations agrotechnologiques ou le développement des plateformes de livraison ont suscité moins d’attention. L’influence de ces niches sur le régime sociotechnique dominant pose la question du rôle des politiques publiques dans de telles transitions.

Des niches-innovations en développement

Cette littérature a également été moins attentive à ces questions, notamment aux effets des systèmes de subventions, qui pourtant concernent une myriade de niches-innovations ayant le potentiel de devenir de véritables acteurs des systèmes agricoles et alimentaires locaux et/ou national. En effet, un tissu important d’initiatives locales et d’innovations se développe dans le paysage agricole et alimentaire français (4), sous des formes très variées et à différents niveaux de la chaîne d’approvisionnement (réseaux alternatifs, start-ups agro-technologiques, PME de transformation locale, épiceries coopératives, plateformes de livraisons en ligne, applications de traçage, centres de formation, etc.). Ces niches- innovations se déploient souvent avec l’appui de subventions publiques directes ou d’aides indirectes, et ce aux différents niveaux de l’administration publique (municipal, départemental, régional, national ou européen).

L’objet de ce travail post-doctoral est de documenter les évolutions en cours des modèles agricoles et alimentaires français et de comprendre l’articulation entre l’action publique et les différents acteurs participant à cette transformation, sous le prisme des subventions publiques. Il s’agit d’examiner les hétérogénéités géographiques et les effets d’échelle induits par les dispositifs d’aide publique aux niches-innovations sur la coexistence de modèles agricoles et alimentaires dans les territoires.

Cela nécessite l’utilisation d’une boîte à outils diversifiée : une récolte de données sur les circuits de financement aux différentes échelles de l’administration publique, ainsi que des entretiens semi-dirigés afin de cerner les pratiques des acteurs et leurs rapports aux différents échelons de l’action publique. Nous couplons donc des méthodologies complémentaires : une approche quantitative visant à évaluer si et comment les dispositifs de subventions façonnent des modèles agricoles et alimentaires, ainsi qu’une approche qualitative dont le but est d’établir un diagnostic sur la multiplicité de l’action managériale publique à l’échelle d’un territoire (PNR du Vexin et communauté d’agglomérations de Cergy- Pontoise).

(1) Communication de la Commission au Parlement Européen. Une stratégie « De la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l'environnement. COM2020, 381. 2020.

(2) J.D. van der Ploeg, in P. Gasselin, S. Lardon, C. Cerdan, S. Loudiyi, D. Sautier. Coexistence and confrontation des modèles agricoles et alimentaires. Un nouveau paradigme du développement territorial ?, Editions Quae. 2021.

(3) F.W. Geels. Ontologies, socio-technical transitions (to sustainability), and the multi- level perspective. Research Policy, 39 (4), 495-510. 2010.

(4) G. Faure, Y. Chiffoleau, F. Goulet, L. Temple, J.-M. Touzard. Innovation et développement dans les systèmes agricoles et alimentaires, Éditions Quæ. 2018.

Contact

Fatma Zahra Rostom

Centre d'Ecologie et des Sciences de la Conservation (CESCO, UMR7204) 

Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN)

Campus Buffon - 3 allée des crapauds Bat 135, 75005 Paris